dimanche 21 octobre 2012

Avenida Brasil, ou la fièvre des Brésiliens pour les novelas



Vendredi soir, 19 octobre, nous avions organisé un dîner entre amis à la maison. Entre entrée, plat, dessert et une bonne bouteille de Bergerac 2010, nous ignorions totalement la fièvre qui s’emparait du Brésil au même moment…
Cette fièvre : le dernier épisode de Avenida Brasil, la novela qui a frôlé le record d’audience détenu par Roque Santeiro (1985). En attendant le premier épisode de Salve Jorge qui aura pour décor une favela « pacifiée » demain à 21H, retour sur ce phénomène de société que fut Avenida Brasil, et plus largement sur l’importance des novelas au Brésil.



Avenida Brasil, tout le Brésil se passionne pour Carminha, Nina et Jorginho

Depuis le printemps, à 21h, 60 à 72% des téléspectateurs brésiliens se réunissaient devant leurs écrans pour suivre les aventures de Carminha, Nina et Jorginho. Chaque jour, une moyenne de 38 millions de téléspectateurs. Avec une telle audience, ça serait une erreur de dire que le public  des novelas est constitué d’un public peu instruit et inculte !  Le phénomène est tel qu’on a vu des professeurs d’université ou des cadres supérieurs commenter quotidiennement  l’épisode de la veille.
Un tel phénomène de masse a même poussé la présidente du Brésil, Dilma Roussef, à reporter son meeting de soutien au candidat PT à la mairie de São Paulo (prévu le jour du dernier épisode) par peur de ne trouver personne dans la salle de meeting !
Cette novela de la chaîne Globo a été écrite par Joao Emmanuel Carneiro, scénariste de plusieurs autres séries télévisées pour globo, elle est réalisée par Ricardo Waddington.Elle a réuni un casting prestigieux : des stars brésiliennes comme Marcos Caruso (Leleco) ou Heloísa Périssé (Monalisa) et de jeunes talents comme Cauã Reymond (Jorginho) et Débora Falabella (Nina).
Avenida Brasil, ça commence dès le générique Vem dançar com tudo, qui est une reprise d’une chanson d’origine angolaise, Vem dançar Kuduro (tellement connue en Europe qu’elle était dans la playlist de notre mariage). Oi oi oi, un refrain tellement entraînant qu’il en était entêtant ! Ensuite, c’est aussi une bande-son trèsréussie : on y a entendu aussi Maria Rita, Adele, Seu Jorge, Rita Lee, Katy Perry, Coldplay, Shakira, Paul Mac Cartney, Zeca Pagodinho et le jeune prodige américain Lana del Rey (tiens, elle aussi dans la playlist du mariage…).
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Résumé du début
Le Petit Journal, Journal des Français au Brésil a bien voulu nous faire un résumé de l’intrigue :
« En 1999, la petite Rita est abandonnée par Carminha, sa belle-mère, alors que son père vient de mourir renversé par Tufao, un célèbre joueur de football, sur l’avenida Brasil dans la zone nord de Rio. Dans la rue, elle est recueillie par un couple, Lucinda et Nilo, qui vit dans une décharge. Elle se lie également d’amitié avec Batata, lui aussi enfant des rues. Très vite, il devient son grand amour. Jusqu’au jour où Tufão découvre les talents de footballeur de Batata. Entre temps, et c’est là que l’histoire se complique, Carminha la méchante belle-mère s’est remariée avec le footballeur. Elle le pousse à adopter Batata, rebaptisé Jorginho. Il s'avère en effet que le jeune garçon est le fils qu’elle a eu avec son amant Max et qu’elle avait abandonné à la naissance. Batata s’en va vivre chez Tufão et Carminha.

Treize ans plus tard, nous retrouvons Rita. Elle s’appelle désormais Nina, a été adoptée par un couple d’Argentins et est devenue chef cuisinière à Mendoza. Lorsqu’elle perd ses parents adoptifs, elle décide de retourner vivre au Brésil afin de se venger de Carminha, qui non seulement l’a abandonnée mais l’a également séparée de son amour de jeunesse. Elle parvient à se faire embaucher par Carminha comme employée de maison. Elle peut dès lors mettre en oeuvre sa terrible vengeance. »



Le dernier épisode de Avenida Brasil (vous pouvez le voir en cliquant sur le lien!) 

[attention spoiler] Le dénouement est surprenant : on apprend que Carminha elle-même a été abandonnée dans une décharge par son père, et après avoir purgé trois années de prison pour le meurtre de Max, elle décide de retourner vivre à l’endroit où son père l’avait laissée, et rejoint le domicile de Lucinda dans la décharge. Entre temps, Jorginho et Nina partent en Californie, ont un enfant, et à leur retour pardonnent à Carminha.

Carlitos, un vieux beau désargenté épouse le même jour ses trois maîtresses, Alexia, Véronica et Noemia (toutes les trois consentantes bien sûr !!!) et le joueur de foot Adauto surmonte un traumatisme d’enfance lié à une tétine qu’il doit brûler pour se libérer et aller de l’avant (là, vraiment, j’avoue que je n’ai rien compris…).
Mais bon côté invraisemblances, on reste loin de Plus Belle la Vie, non ?


Les novelas ? Oui, c’est de la culture !
Saviez-vous que les novelas (de radio ou de télé)  trouvent avant tout leur origine dans le feuilleton français du 19ème siècle ? Les recettes sont les mêmes : mélodrame, l’amour impossible, les sentiments exacerbés,  la confusion ou l’usurpation d’identité, la quête du père ou de la mère, les secrets de famille, l’obsession du passé, la quête des origines,  la fragilisation des liens de famille, la repentance et bien sûr les envies de vengeance et le pardon.
Alexandre Dumas (Père) ou Honoré de Balzac étaient de grands feuilletonistes, racontant chaque jour ou chaque semaine un épisode tenant en haleine les lecteurs.
Au Brésil, l’illustre écrivain Machado de Assis fin XIXe-début XXe), ou le dramaturge Nelson Rodrigues (XXe) ont eux aussi écrit des feuilletons dans les journaux.
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De nos jours, la novela brésilienne apparaît comme une composante très forte de la culture nationale, et ce sur quatre registres au moins.
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D’une part, la novela permet la diffusion et l’appropriation du patrimoine culturel littéraire brésilien, comme en témoigne la diffusion actuelle de Gabriela, tirée du roman de Jorge Amado. Les novelas rendent la littérature nationale accessible à tous …n’oublions pas que le Brésil compte encore 14 millions d’analphabètes.
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La novela joue également une fonction culturelle identitaire, presque du domaine de la construction d’une identité nationale. Cela se manifeste par exemple au travers de reconstitutions historiques et de l’insertion du réel au sein de certains épisodes : images d’archives, personnalités politiques,  faits de société. La novela sert de support pour évoquer ou discuter de problématiques sociopolitiques brésiliennes contemporaines. « Roque Santeiro » constitue d’ailleurs un très bon exemple. Cette novela de 1985 a battu les records historiques d’audience, au moment de l’ouverture politique du Brésil, à la fin de la dictature. Le scénariste Dias Gomes était d’ailleurs communiste et très critique le pouvoir, la corruption, le changement d’identité…. Cette novela a fait un succès dans toute l’Amérique Latine et en Afrique, notamment au Mozambique.

Ensuite,  la novela traite de l’identité collective brésilienne, ses stéréotypes et ses problématiques raciales (poids de l’esclavage, situation sociale des noirs, des indiens, relations riches/pauvres…).
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Enfin, certaines novelas ont une grande valeur artistique (comme Avenida Brasil ou Gabriela) en plus d’une touche spécifiquement brésilienne, constituant ainsi une forme de résistance culturelle vis-à-vis des séries américaines. Les novelas parviennent mieux que les séries françaises à proposer une alternative à la domination télévisuelle des Etats-Unis.
Toutefois, les novelas restent bien de la fiction, les invraisemblances sont là pour nous le rappeler ! Elles ne constituent qu’une lecture, une interprétation, de la réalité.

Les novelas une présence quotidienne 
Au-delà d’une simple émission de télé, Avenida Brasil est un véritable phénomène de société. Comme toutes les novelas son découpage en chapitres quotidiens contient un suspens à la fin de chaque nouvel épisode.
La novela suscite donc chaque matin des commentaires des téléspectateurs les plus assidus, prenant partie pour l’un ou l’autre des protagonistes (Nina ou Carminha ? Lucinda !)
Souvent, les gens parlent ainsi : « Tu as regardé la novela hier ? Tu as vu ce qui s’est passé ? », « Ah mais je ne suis pas d’accord », « Celle-là elle exagère », « J’espère qu’elle ne va pas se laisser faire ».  C’est un lien social !
L’influence est elle que finalement, les novelas sont connues de tous, même de ceux qui ne les regardent pas (moi par exemple qui vous écrit cet article en ayant vu moins de 10 épisodes de Avenida Brasil !). On trouve des informations partout: sur internet, dans les journaux, sur les réseaux sociaux. Il suffit de lire les revues qui en parlent, de dialoguer avec les brésiliens, et de lire régulièrement leurs statuts Facebook !
En effet, les journaux et magazines, tels que le magazine d’actualité conservateur Veja, ont régulièrement traité de Avenida Brasil, sous différents angles : phénomène social, impact publicitaire, débat de société, vie des « people » de la série…
La page Facebook de Avenida Brasil compte plus de 430 000 fans et a généré plus de 160 000 discussions !


Les novelas une source d’inspiration
Les acteurs de novela sont une source d’inspiration pour le quotidien des téléspectateurs.
La boutique en ligne de la série propose aux adeptes de s’offrir les mêmes casseroles que Nina, d’adopter le style Latin Lover de Max, celui de Jorginho ou encore les tenues des trois femmes de Carlitos. Les acteurs y révèlent leurs secrets de beauté. Il est également possible de préparer son mariage en s’inspirant des différents mariages des personnages.
J’avoue avoir moi-même craqué pour une petite veste de sport portée par l’une des femmes de Carlitos…
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Les novelas influencent les modes de vie
Il faut savoir qu’en moyenne, une novela dure de six à huit mois, le temps d’approfondir la personnalité des personnages et d’aborder d’importants sujets de fond. Avenida Brasil a duré environ 6 mois.
Il existe différents types de novelas. Il y a la novela de 18h (en général légère), celle de (plutôt comique) et enfin la novela de  21h plus dramatique, ancrée dans la réalité économique et sociale du Brésil. 
L’évolution des contenus thématiques reflète l’évolution (réelle ou présupposée) des mentalités.
La novela permet au télespecteur de se positionner et de discuter de sujets tels que la représentation de l’homosexualité et de la transsexualité, l’homoparentalité, les relations pluri-amoureuses, l’abandon et l’adoption des enfants... 
La novela amène à réfléchir aussi sur ses valeurs, ses postures ou sa conduite à tenir face à certains aléas de la vie : les femmes battues, l’avortement, enrichissement personnel ou faillites personnelles rapides,  la maladie, l’alcoolisme, le handicap, la grossesse chez les adolescente, don du sang, don d’organes. Cette utilisation de la fiction pour é débattre de telles questions date des années 1990. Cette dimension pédagogique se retrouve aussi dans notre feuilleton national « Plus belle la vie », qui de mémoire, a fait l’objet de financements publics (FNASS) pour susciter le débat autour de questions peu abordées dans la société.


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