Affiche du film L'Existence Arrachée |
A 37 ans, Géry Barbot se lance dans la réalisation
de son premier film. Géry Barbot est avant tout un cinéphile, passionné et doté
d’une très riche culture cinématographique. Après avoir dirigé deux salles
d’Art et Essai en France métropolitaine, il s’est installé avec sa famille au
Burkina Faso. La vie quotidienne d’une petite fille lui a inspiré une histoire,
et il a décidé de passer derrière la
caméra. Il réalisera en juin 2013 « L’Existence Arrachée » dans les
environs de Ouagadougou au Burkina Faso. Géry Barbot a écrit le scénario, mais
il assure aussi la réalisation et la production de son film. Totalement
autodidacte en matière de réalisation, il nous confie en exclusivité les
secrets de ce pari très osé.
Géry, d’où
te vient cette passion du cinéma ?
Quand j’étais petit, je n’allais pas au cinéma.
C’est avec ma mamie que j’ai découvert E.T. Puis pendant les vacances, j’ai
profité d’une séance itinérante pour voir Paris Texas de Wenders à 9 ans, en
1985. A l’époque je n’avais rien compris au film mais je me souviens avoir été
très marqué par les images. J’ai été très impressionné, mais je n’avais pas
aimé, je trouvais ça trop long. Mais le film m’a marqué. Ensuite j’ai commencé
à voir des films en salle avec mon cousin.
Très tôt tu
as été marqué par les images, comment cela s’est traduit ensuite dans ton
parcours ?
J’ai un parcours de photographe depuis l’âge de 17
ans, en argentique bien sûr. J’ai beaucoup travaillé en noir et blanc, et en
couleur. C’est même en faisant mes développements que j’ai appris l’importance
d’un bon cadrage, j’ai appris à corriger mes erreurs. J’ai déjà gagné un prix
pour mes portraits. C’est sur mon dossier photo que je suis entré à l’Ecole des
Beaux Arts de Dunkerque. A l’époque j’utilisais peu la vidéo, seulement pour
des installations et des performances.
Quelle est
ta conception du cinéma ?
Je ne soutiens pas l’idée qu’un film est un objet
de consommation, je pense que c’est un objet qui ne doit pas être consommé et
jeté. Fargass Assandé, qui m’assiste dans la réalisation du film, est sur la
même longueur d’ondes. Il faut ouvrir
des portes, on doit continuer à s’interroger, prêter à discussion. Ça me gêne
quand on dit ce que le spectateur doit penser, moi j’aime qu’on ouvre des
portes. Avec un film comme ça, on a des réponses mais aussi des interrogations.
C’est ce qui fait la fragilité du film.
Aujourd’hui, on voit émerger des séries
américaines très bien faites mais
aseptisées. Il y 5 à 7 scénaristes pour
écrire un scénario. C’est très efficace
mais ça manque d’imperfection. Or, c’est intéressant de flirter avec la
perfection et l’imperfection, d’avoir des choses qui se contredisent et
s’opposent. C’est là qu’on peut mettre une forme de poésie et de discours qui
pourraient m’interpeller.
Et comment
t’est venue la passion du cinéma africain ?
A 20 ans, j’ai fait mon premier voyage au Burkina
Faso. Ce pays accueille le Festival des cinémas d’Afrique, le FESPACO. J’ai
décidé ensuite d’y retourner régulièrement. Je n’ai manqué aucune édition du
festival depuis février 1997.
En 2002, alors que j’étais étudiant en Médiation
Culturelle, j’ai coordonné le Festival Périplans, la rencontre des cinémas
d’Afrique dans le Nord. J’ai assuré toute la coordination pour la région
Nord-Pas-de-Calais. On a notamment fait une rétrospective de Safi Faye, la
première réalisatrice africaine. C’est grâce à cette expérience que j’ai été embauché comme responsable de la
salle de cinéma du centre culturel de Tergnier dans l’Aisne. C’est par les
cinémas d’Afrique que j’ai pu bâtir mon parcours professionnel.
Comment t’es
venue l’idée de passer de la diffusion à la réalisation ?
J’ai été directeur de salle pendant 5 ans, à
Tergnier puis à Neufchâteau dans les Vosges, en gardant toujours un grand
intérêt pour le cinéma en marge. Concernant la réalisation, je n’ai pas de
parcours énorme ! J’ai mon parcours de cinéphile et de directeur de Salle
Art et Essai dont une classée jeune public et cinéma de recherche. C’est ma base,
car Je n’ai pas de parcours d’étude de l’image. J’ai appris à décoder les
images des films, tout en ayant envie d’images construites de façon différente.
Je n’aime pas que les images soient seulement un objet commercial de produit de
consommation. Or souvent, les scénarios sont construits pour la consommation du
spectateur, façon cinéma d’Hollywood. Ma démarche dans le cinéma est
différente : un peu comme la lecture,
j’essaie toujours d’aller vers des mécanismes différents. En tant que
directeur j’ai enseigné la lecture de l’image avec des classes de
primaire du CP au CM2, avec des classes de collège, de lycée et de BTS. J’ai
aussi été le référent culturel pour plusieurs classes d’option cinéma du bac.
Quand je suis rentré au Burkina Faso avec mon
épouse et mes enfants, j’avais cet espoir de pouvoir réaliser, créer un film,
mais sans avoir de scénario bien précis. L’envie de réaliser était très forte.
Le scénario de « L’Existence Arrachée » met en scène une petite fille métisse
livrée à elle-même, dans la grande maison de ses parents. Comment t’est venue
cette idée ?
Je suis président de l’association des parents
d’élèves du Lycée Français. J’ai été très frappé de voir beaucoup d’enfants
(surtout des filles) totalement livrés à eux-mêmes. Les parents sont occupés,
leur vie est chargée. Et puis il est facile d’embaucher des domestiques, des
gardiens, des femmes de ménage, des cuisiniers
car la main d’œuvre est bon marché. Certains parents en abusent, démissionnent,
se reposent sur les domestiques pour élever leurs enfants. J’ai souvent vu ça et pas uniquement avec les
élèves du Lycée Français. On voit toujours des élèves qui ont du mal à vivre l’absence
des parents, qui vivent chaque jour dans l’espoir…Et parfois le parcours
scolaire dérape par manque de repères, et à cause d’un trop grand isolement. Quand
on discute avec elles, on voit que les filles jettent des bouteilles à la mer, elles nous alertent sur leur
solitude.
Cette petite
fille abandonnée est exposée à tous les dangers, jusqu’au jour où l’irréparable
est commis. Pourquoi parler d’un sujet aussi terrible que le viol ?
C’est mon parcours personnel et familial qui m’a
amené à parler du viol, de la femme abusée par l’homme. J’ai vécu toute mon adolescence
avec ce poids. A travers le regard féminin de quelqu’un avec qui j’ai grandi, j’ai
découvert l’image de l’homme, sans trop comprendre. Cette fille était à fleur
de peau sur chaque comportement masculin, en révolte contre les codes de la société,
contre ce besoin des hommes à montrer leur supériorité, à prendre les devants avec les
filles…J’ai vu que ça provoquait un rejet très fort chez elle. J’ai vécu avec
ça. J’en ai développé une façon prudente d’avancer avec les filles pour ne pas
les choquer, les bousculer. J’ai toujours agi avec tact et un grand respect
mais sans savoir pourquoi j’agissais
comme ça. Ce n’est que plus tard que j’ai su le parcours de cette personne. J’ai
compris sont traumatisme, j’ai compris chacun de ses comportements. J’ai été
sensible au comportement des femmes abusées.
Avant de
passer à la réalisation de « L’Existence Arrachée » quelle expérience
avais-tu des plateaux de tournage ?
C’est au Burkina Faso que j’ai découvert les
plateaux de tournage…Ces plateaux ne sont pas forcément toujours conventionnels mais en
me documentant sur les rôles de chacun sur un plateau, je me suis rendu compte
que c’était plutôt bien organisé. J’ai été à cette occasion figurant avec mes
enfants sur un téléfilm de Fred Garson coproduit par Arte, Qui sème le vent. J’ai ensuite été
figurant dans la série de France Télévision Les
Hommes de l’ombre. Puis je suis resté 7 jours sur le plateau de Mémoire en fuite de Issiaka Konate en
janvier 2013 qui est un des réalisateurs africains qui dégage le plus de poésie
dans ses images. J’étais principalement à l’image et à la production, sans rôle
défini. J’ai essayé de saisir au mieux le rôle de chacun sur le plateau. Là
j’ai découvert de grands compétences et également d’autres avec qui je n’avais
pas envie de travailler. Certaines personnes retardaient le tournage, d’autres
étaient très moteurs.
Quels ont
été les critères de choix pour monter l’équipe de « L’Existence
arrachée » ?
Pour mon film, je vais travailler avec une équipe
réduite de 10 à 14 personnes: un
réalisateur, un assistant, 2 personnes à l’image, 2 au son, 3 aux lumières, 1 à
la régie et 1 personne au maquillage. La prise de son sera séparée. Je suis
contraint par l’économie de moyens, cette équipe réduite permettra probablement
de faire moins de choses sur les
costumes et décors mais en revanche,
elle sera plus réactive. On devrait éviter les blocages et les problèmes de
coordination. J’ai découvert Fargass Assandé dans ses pièces présentées à
l’Institut Français de Ouagadougou. J’ai travaillé un peu sur ses créations
théâtrales. Concernant les acteurs, je travaille vraiment avec Fargass, on a
plusieurs pistes, mais les personnes n’ont pas encore été consultées car on ne
connaît pas encore notre budget définitif, mais tout sera bouclé 15 jours avant
le tournage.
Géry,
peux-tu nous parler de tes références cinématographiques ?
C’est une question difficile ! Il y a bien sûr
des réalisateurs que j’aime mais je me sens tellement imprégné par multitude de
cultures cinématographiques, y compris géographiques. J’ai par exemple toujours
vu et programmé des films rares par exemple du Bouthan, d’Iran, du
Danemark, d’Europe de l’Est, d’Amérique du sud, d’Asie et d’Afrique…On découvre
le monde par le cinéma, on découvre des cultures par la cinématographie.
J’aime aussi beaucoup David Lynch, Kim Ki Duk,
Stanley Kubrick, Abderrahmane Sissako, Clint Estwood réalisateur, Truffaut,
Jarmusch, Terrence Malick, Lars Von Trier, Gus Van Sant. J’aime également les films sur les rapports sociaux
comme Les raisins de la Colère de
John Ford, Tokyo Sonata de Kiyoshi
Kurosawa, La raison du plus faible de
Lucas Belvaux ou La noire de... de Ousmane
Sembène. Mais là encore je suis dans un rapport géographique dans mes
références au cinéma : les USA, le Japon, la Belgique, le Sénégal, il y a
quelque chose d’Universel dans tout ça.
Et pour ton
premier film, de qui vas-tu t’inspirer ?
Les influences sont nombreuses ! Sur ce film,
il y aura probablement des références que j’ignore, que j’ai évincées, mais qui
seront retranscrites à l’image. Je me
sens très imprégné de David Lynch, Kim Ki Duk, Stanley Kubrick, ou Clint Eastwood
réalisateur, mais c’est très difficile de les nommer car je ne prétends pas
arriver à leur hauteur. David Lynch est le plus marquant, et peut-être cela se fera le plus ressentir dans la narration et
la déconstruction mentale. Mais mon film sera moins noir que beaucoup de films
de Lynch. Ca sera plus optimiste ! Sur la fin même, il y aura peut-être
de Truffaut et les 400 coups, la fin y ressemble, même si le sujet
est complètement différent. Pour Eastwood, ça peut paraître contradictoire par
rapport à mes envies d’imperfection, car il est très académique ! D’autres
réalisateurs aussi font des choses très abouties. Beaucoup de petits films avec
peu de moyens me parlent beaucoup aussi, comme Tarnation. Ce sont des films importants dans mon parcours de
cinéphile même s’ils n’ont pas d’influence sur le film. Ils me font évoluer en
tant qu’être humain. Bruno Dumont, avec des acteurs non professionnels, montre
un monde tel qu’il est, c’est un cinéma vérité. Ça m’interpelle. Je pense que
dans la gestion du temps du film ça se ressentira. Il faut prendre le temps de
laisser les choses s’installer. Je suis dans un certain rapport au temps au
cinéma, dans lequel on peut laisser le temps qui s’installe. Comme chez
Wenders, Tarkovski, Heineke, ou Dumont. Heineke me marque par l’absence de
musique. La vie est faite sans musique, quand on se promène ou quand on
discute. L’absence de musique génère un autre rapport à la réalité. Quand elle
est flatteuse, la musique au cinéma pallie le manque de discours par l’image.
Moi je fais du discours par l’image et après je mets la musique. Il y a des
films qui ne sont rien sans la musique. Je ne veux pas que la musique porte le
film, elle peut l’accompagner mais pas le porter. J’ai avant tout envie que
l’image parle.
Géry tu es toi-même père de famille. A ton avis ta
paternité influence-t-elle ta conception du film ?
Je ne pense pas. En revanche, j’ai été confronté
aux amies de ma fille, j’ai vu leurs parcours. La première version du film que
j’ai écrite a été soumise à discussion avec Fargass, on a avancé, on l’a fait
évoluer. Le film comprend beaucoup de séquences symboliques importantes, mais
on essaie de laisser les portes ouvertes, on n’a pas forcément toujours une
seule interprétation. En parlant de ça, je reconnais être sensible à la
paternité ; mais ce n’est pas lié à mon parcours de père, plutôt en tant
qu’enfant. Dans l’abandon il y a aussi la mort, j’ai perdu mon père étant jeune.
Ce rôle dans le film est celui de la mère. On ne sait pas ce qui lui est
arrivé. Je pense qu’elle est morte en couches. C’est arrivé à mon institutrice
de petite section. C’est le parcours de ma mère qui a perdu 3 enfants, deux
morts nés et une fausse couche à terme. Il doit y avoir de ça dans mon parcours.
Mais je n’ai pas vécu l’absence d’une mère, au contraire. Ma mère est toujours
présente et continue à l’être. Mais je
n’arrive pas à expliquer le film avec mon propre parcours. J’ai mis des choses
sans savoir pourquoi je les mettais. C’est bien de laisser sortir des choses
comme ça, ça va peut être fonctionner, ou ne pas fonctionner! Dans
le film, la petite fille manque d’amour parental car elle n’a pas de mère et
son père n’est pas là. Le parcours créatif est quelque chose de difficile car
on donne à montrer son travail et son ressenti. Quand je parle du processus de
création, je me révolte, j’ai envie de
dire. Quand je suis dans ce processus, au début, des choses sortent. Je mets le doigt sur ce
qui me dérange, puis je suis rattrapé par mon propre parcours.
« L’Existence
arrachée » va-t-elle nous parler de l’Afrique ou de thèmes
universels ?
Avec « L’existence arrachée », on est en
Afrique dans une réalité urbaine de milieu privilégié, au Lycée Français. C’est une métisse. C’est
une réalité culturelle locale. L’histoire se passe ici à Ouagadougou, mais elle
pourrait se passer ailleurs. Ce qui mène à cette façon de vivre, c’est qu’il
existe une main d’œuvre pas chère pour gérer la maison ! En même temps,
l’histoire peut se transposer, elle porte en elle une forme d’universalité. On
est dans un rapport du masculin au féminin, du dominant au dominé. On parle des
abus, ça existe partout.
Souhaites-tu
provoquer certains sentiments chez le spectateur ?
Non, je ne
veux pas parler à la place des images. Je ne peux pas aller trop loin dans
certaines choses, j’aurais peur de déconstruire mon film.
Propos recueillis par Emmanuelle LEROY CERQUEIRA le
27 avril 2013 pour Correspondances
Transatlantiques.
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Géry Barbot |
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