lundi 24 septembre 2012

Arguments pour la défense du portugais comme langue d'enseignement en France

20/09/2012


Le 30 août 2012, Geneviève Fioraso, la nouvelle ministre de l'Enseignement Supérieur a accordé une interview à Médiapart, dans laquelle elle déclare, " Avoir du portugais dans toutes les universités, est-ce indispensable ? J’adore le portugais mais avoir une discipline rare dans toute les universités, ce n’est peut-être pas utile". 

Cette interview a ému la communauté lusophone de France, et un appel a été lancé sur Facebook, qui a ensuite été relayé par le Lusojornal, journal des Communautés lusophones de France et de Belgique. Voici la lettre que j'ai envoyée à Madame la Ministre.




Madame la Ministre,

J’ai pris connaissance de votre entretien accordé à Mediapart et relayé par les réseaux sociaux.

Je tiens par la présente à vous faire part de quelques arguments en faveur de l'enseignement du portugais en France, notamment dans les Universités Françaises.

Habitant il y a quelques mois encore en province, dans le Nord de la France, j'ai participé à plusieurs projets professionnels [...], en partenariat avec le Ministère des Affaires Etrangères et l’Agence Française de Développement (AFD). Participant également à titre personnel à différents projets associatifs et culturels en lien avec le Brésil, il m’est toujours agréable de constater l'intérêt des Français pour la musique, le cinéma, la danse, la littérature, la mode, du Brésil.
Résidant désormais au Brésil depuis quelques mois, je découvre avec plaisir et étonnement combien l’aura de la France est grande ici au Brésil.

Une aura culturelle d’abord. Je suis en effet marquée par la vivacité de l’intérêt des Brésiliens pour la création littéraire, artistique et cinématographique française (le Brésil est aussi le plus grand marché en Amérique du Sud pour la littérature française). Cela passe par le dynamisme des Alliances françaises, des projets de coopérations entre institutions culturelles, mais aussi par des initiatives privées ou individuelles.

Un intérêt du monde universitaire pour les échanges avec la France, ensuite. En effet, la France est le deuxième plus grand partenaire du Brésil en termes de recherche scientifique et d’innovation technologique, après les Etats-Unis. Nombreuses sont les Universités brésiliennes (Université Fédérale de Rio de Janeiro, Université Fédérale du Ceara, Université Fédérale d'Espirito Santo) qui ont au fil des années a pris l’initiative de diverses propositions de projets de coopération internationale avec la France dans le cadre de projets de recherche, généralement avec le soutien de financements bilatéraux tels que CNPq-CNRS.
Il me paraît essentiel, et mes amis professeurs à l'Université d'Espirito Santo en sont également convaincus, de développer significativement la mobilité des professeurs, des chercheurs et des étudiants, brésiliens et français, afin de former des professionnels multiculturels ayant un esprit d’innovation et capables de faire preuve de responsabilité sociale et environnementale. A ce titre, la maîtrise mutuelle et réciproque de chacune des deux langues est un préalable, autant qu'un atout.

Un intérêt économique et commercial enfin. Outre le fait que de nombreuses industries des secteurs-clé de l’économie brésilienne sont françaises (exploitation pétrolière notamment), les prochains événements de portée mondiale au Brésil (Jeux Olympiques, Coupe du Monde de Football) devraient renforcer l'attractivité que le Brésil va exercer pour les entreprises françaises. Ces événements devraient ainsi offrir de nouvelles opportunités commerciales dans les domaines du BTP, transports, ingénierie environnementale et énergies renouvelables.

Pour terminer, je souhaite rappeler que l’économie française a tout intérêt à profiter de la croissance du marché intérieur brésilien qui crée des opportunités pour les industries françaises, dans le domaine de la parfumerie et des cosmétiques par exemple, ou pour l’économie du tourisme (développement des nuitées, des séjours, de la consommation de produits touristiques par les Brésiliens). L’accueil des touristes brésiliens dans notre pays doit être à la hauteur de l’intérêt, voire de la fascination qu’ils nous portent.
L'apprentissage du portugais et surtout de la culture brésilienne là aussi sont un préalable important pour l’ensemble des professionnels français.

Malheureusement, il est extrêmement difficile de trouver de cours de portugais brésilien pour préparer soit un projet scolaire, de recherche ou un projet professionnel avec le Brésil, soit pour acquérir une connaissance fine et approfondie de la culture et de la vie intellectuelle de ce pays. Je tiens à rendre hommage toutefois aux nombreuses initiatives associatives, qui proposent des cours d'initiation au portugais brésilien, formations qui ne sont pas diplômantes.

Ainsi, en raison du développement de ces échanges universitaires, mais aussi économiques, culturels, littéraires, musicaux, nombreux sont les Français qui ont un intérêt direct à se former à la langue et à la culture brésilienne.

Plus largement, ignorer le monde lusophone d’Europe, d’Afrique et d’Amérique en ce début de XXIe siècle, serait une triste erreur stratégique, et l’illustration d’un manque de vision de l’évolution des grands tendances économiques et sociétales de notre monde contemporain.

Par ailleurs, Madame la Ministre, je souhaiterais que ce message puisse être relayé auprès de Monsieur le Ministre de l’Education Nationale, pour que le portugais, au même titre que le Russe, l’Arabe ou le Chinois, autres langues de puissances émergentes, puisse être enseigné dès l’enseignement secondaire.

Ainsi, constatant que ces différentes dynamiques, économiques et culturelles, entraînent une interdépendance croissante de nos deux pays et de leurs habitants, je vous prie de bien vouloir reconsidérer votre proposition, qui me semble en grand décalage avec les dynamiques existantes.


Je vous remercie, Madame la Ministre, de votre écoute et de votre compréhension et je vous prie d'accepter l'expression de mes salutations distinguées.


Emmanuelle LEROY CERQUEIRA, Vitória, Brésil, le 20 septembre 2012

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