Hier, les électeurs brésiliens se sont rendus aux
urnes (électroniques) pour le deuxième tour de l’élection des maires.
Dans cette démocratie encore récente, née de la chute
de la dictature militaire dans les années 80, les élections municipales
sont riches d’enseignements.
Une campagne pénible et frustrante
Ce deuxième tour des élections marque surtout la fin d’un
tintamarre incroyable, d’un boucan sans nom, d’un bordel acoustique inégalé!
L’élection du maire signifie pour beaucoup un retour à la normalité, parfois
même, à la tranquillité!
En effet, depuis fin août, la propagande politique s’était
installée partout : slogans publicitaires à la télévision (ici les
candidats paient pour des espaces publicitaires radiophoniques et télévisuels),
flyers, affiches géantes, affiches sur les façades des particuliers, les
balcons, les voitures, marketing téléphonique.
Mais par-dessus tout, ce qui caractérise une campagne
électorale au Brésil, c’est le bruit ! Insolent, polluant, il nous
réveille tôt le dimanche matin, réveille les bébés pendant la sieste, et nous
empêche de nous entendre. Impossible de trouver un charme quelconque à cette spécialité
brésilienne, intrusive et dérangeante !
Les enceintes, installées sur les toits des véhicules,
des bicyclettes ou parfois sur des camions plateformes comme ceux du carnaval,
hurlent slogans et musiques partisanes. Ces musiques parfois sont des musiques
originales et parfois sont des reprises de grands tubes de samba, de pagode ou
de forro.
Le plus curieux, c’est que les citoyens se plaignent
de la saleté et de la pollution générée par la campagne. Au bureau de vote,
nous avons rencontré une dame, d’un milieu populaire, déclarer voter pour celui
qui avait fait le moins de bruit et le moins de saleté dans la rue.
De mon côté, j’ai eu l’occasion de discuter avec un
candidat au poste de conseiller municipal de mon quartier. Et, l’interrogeant
sur le bruit et lui indiquant que beaucoup de gens se plaignent, il m’a juste
répondu « Ah mais c’est ça le Brésil ! C’est comme ça ! ».
Affligeant. D’autant plus que celui-ci a été élu.
Pour ceux à qui la salsa de Marcelão, 13123 Vereador Marcelão manquerait, je l'ai retrouvé:
Pour ceux à qui la salsa de Marcelão, 13123 Vereador Marcelão manquerait, je l'ai retrouvé:
Et c’est sans parler du contenu des slogans eux-mêmes,
plutôt affligeants et généralement sans référence ni idéologique ni à un
programme. Ceci s’explique par la très forte personnalisation de la politique
au Brésil, les candidats s’engageant sur leur personnalité d’une part, et le
système électoral favorisant des pratiques quasiment clientélistes. Dans un
pays où les enjeux de politique publique sont énormes, où la gouvernance
locale multi-niveaux n’est qu’à ses débuts, et où les stratégies de
développement local sont à peine esquissées, les slogans malheureusement sont
réduits à des messages publicitaires. A Vitoria, on a eu le choix entre Vitoria mudança (Vitoria changement) ou Vitoricheiadevida (Vitoriapleinedevie…en
un mot).
Pour être plus
exacte, et pour ne pas tomber dans les généralités les plus basses, il faut
rappeler que le système des élections municipales est à deux niveaux. Alors qu’en
France nous votons pour une équipe, affiliée à un parti, à une idéologie et à
un programme, qui sera chargée d’élire le maire (élu donc au suffrage universel
indirect), au Brésil le maire et le vice-maire sont élus au suffrage universel
direct au scrutin uninominal majoritaire
à deux tours. Ils représentent le pouvoir exécutif. Les conseillers
municipaux, les vereadores, représentent le pouvoir législatif et sont élus par un scrutin proportionnel de
liste ouverte. Il n’y a qu’un seul tour et sont élus ceux qui font l’objet du
plus grand pourcentage de votes.
Toutefois,
le nombre de candidats aux postes de vereadores est énorme, les candidatures sont
plus loufoques les unes que les autres, les candidats moins préparés les uns
que les autres. A Aracaju dans le Nordeste, 8 candidats sur 428 sont déguisés pour attirer l'attention. On y trouve notamment Batman, Robin et un Ben Laden ressuscité. Tous PSDB, la droite! Au moins, ils auront permis de faire connaître Aracaju au monde entier!
A Vitoria, les vereadores ont été élus sur la base de scores n’atteignant parfois même pas 5% des voix ! Peut-on dans ce cas parler de démocratie représentative ?
A Vitoria, les vereadores ont été élus sur la base de scores n’atteignant parfois même pas 5% des voix ! Peut-on dans ce cas parler de démocratie représentative ?
Autre signe de
la personnalisation du scrutin, c’est cette habitude brésilienne à designer les
candidats par leurs prénoms. A Vitoria, ce sont les candidats vereadores
Marcelão ou Davy. Les candidats maires Iriny, Luciano ou Luiz Paulo.
Les candidats
eux-mêmes s’ingénient à personnaliser la relation avec leurs électeurs : interpellations
au marché, appels téléphoniques, envois de sms, discussions avec les citoyens,
mais aussi enrôlement dans la campagne (contre rémunération! on a pu
ainsi voir des dizaines de porte-drapeaux se tenir debout le long des avenues,
des autoroutes ou aux carrefours, en plein soleil et en pleine chaleur !),
et parfois promesses de rétribution en nature ou sonante et trébuchante !
Ça m’est arrivé
au marché, lorsqu’une dame s’est jetée sur moi : « Tu vas voter pour
moi ? je peux t’acheter ton vote ! ».
Avec mon plus
beau sourire, je lui ai répondu que ça ne m’intéressait pas, étant française et
non-électrice ! Elle a tourné les talons, sans me saluer…
Le vote lui-même mérite quelques lignes. Au
Brésil, comme en Belgique, le vote est obligatoire. Il a été mis en place en 1934
pour lutter contre des taux importants d’abstention. Il s’applique à
tous, sauf aux personnes entre 16 et 18 ans ou de plus de 70 ans, ainsi
que pour les analphabètes pour lesquels il est facultatif. L’amende à payer
pour ceux qui manquent à leur devoir citoyen représente entre 5 et 20% du
salaire minimum. Le vote obligatoire a permis de maintenir des taux d’abstention autour
de 20% aux élections présidentielles entre 1994 et 2002. Pour les brésiliens
domiciliés à l’étranger, le vote n’est obligatoire que pour les élections
présidentielles.
Ensuite, ici les
urnes sont électroniques : pour voter, on se dirige non pas dans un
isoloir où on glisse un papier dans une enveloppe (ça serait trop long à
dépouiller dans un pays de 140 millions d’électeurs) mais dans un genre de
cabine de téléphone. Il suffit de composer le numéro du candidat (chaque parti à un numéro et chaque candidat a un numéro) choisi sur un
clavier. Sa photo, son nom et le signe du parti apparaissent sur l’écran.
L’électeur doit vérifier les informations, puis confirmer son vote. Un système
d’annulation du vote permet de voter blanc.
photo internet |
Résultats à Vitoria, Rio de Janeiro et São Paulo
Les enjeux et résultats des scrutins ne
sont pas forcément le reflet de dynamiques nationales. Un nombre très élevé de
partis politiques se disputent les postes législatifs et exécutifs, obligeant à
des alliances qui n’ont souvent rien à voir avec l’idéologie des partis portée
au niveau national. Il semblerait toutefois que cette tendance soit en
diminution, et que les candidats comme les électeurs suivent une ligne
idéologique. C’est vrai surtout pour les électeurs du PT (ou du PDT dans la
région de Rio, région historique du gouverneur toujours très populaire Brizola où
l’idéologie de gauche maintient sa place dans les débats).
Pour ce qui concerne le résultat de Vitoria, il faut
savoir qu’on avait le choix au deuxième tour entre un ancien maire PSDB (la droite)
dont la candidature avait été refusée par le tribunal électoral, Luiz Paulo et
un ancien adjoint au maire de celui-ci, ayant reçu l'appui d'un prédicateur évangéliste controversé, le PPS Luciano.
Entre les noms d’oiseaux, les insultes, seul le
premier malheureusement avait esquissé un semblant de programme (notamment
désigner des maires de quartier, mettre en place des politiques de
développement intégrées et coordonnées, refaire le plan local d’urbanisme) et l’autre
s’était perdu dans des généralités sur la démocratie participative et le
travail avec les communautés. Les habitants de Vitoria ont pourtant fait le
choix d’aller de l’avant, de ne pas rappeler l'homme du passé et Luciano a été élu avec 52,73% des voix.
Le nouveau maire, de son nom complet Luciano Rezende va constituer son équipe exécutive
dans les prochains jours, avec cette particularité que, en principe, les poste
d’exécutif sont confiés à des membres de la société civile, et non au
conseillers municipaux comme c’est le cas en France). Sans a priori pour le moment, je constate juste l'absence de propositions en matière d'urbanisme et de stratégie territoriale. Dommage.
A Rio, Eduardo Paes a été réélu dès le premier tour,
envoyant ainsi un sérieux message de confiance aux partenaires internationaux
et investisseurs liés aux grands projets (Coupe du Monde de Foot 2014 et Jeux
Olympiques 2016). Paes dispose donc de 4 ans pour mener à bien les grands
chantiers.
A Sao Paolo c’est Haddad, le candidat de Lula et de
Dilma Rousseff qui a été élu. A 49 ans, cet ancien ministre de l’éducation fait
la nique au vieux Serra, 70 ans, qui se prend une nouvelle défaite après son
échec aux élections présidentielles face à Dilma Rousseff.
Globalement, dans tout le Brésil, le PT ne semble pas avoir souffert du scandale de Mensalão, qui met en cause d'anciens ministres de Lula. Le PT se conforte comme le troisième parti local, et gagne un certain nombre de postes exécutifs.
Pour conclure, quelques notes d'espoir. La campagne municipale a fait l'objet de nombreux débats entre les Brésiliens. Et contrairement à la France, ce sont des débats où les gens s'écoutent! On a constaté une très forte demande des citoyens tant sur les modalités de la campagne (interdire le bruit, les papiers sur la voie publique, le marketing téléphonique) que sur la nature des engagements des candidats (demande de visibilité des programmes et des moyens de mise en œuvre). Mais le Brésil est une jeune démocratie, c'est encore un grand laboratoire à l'échelle de ce pays de 140 millions d'électeurs!
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